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L'expertise, Gisèle MOR

Le 22 septembre 2010

 

 

L'expertise

 

Gisèle Mor

Avocat au Barreau du Val d'Oise

Ancien Bâtonnier

 

 

1. L'expert  3

1.1. Devoir de compétence  3

1.1.1. Le recrutement garantie de compétence ?  3

1.1.2. Formation des experts et police de la compétence expertale  3

1.2. Devoir d'indépendance  4

1.2.1. Exiger la transparence  4

1.2.2. Les garanties émanant du rapport  5

2. L'expertise  5

2.1. Un regard critique sur les missions  5

2.2. Respect du patient et devoir de compassion   6

2.3. Médecin conseil / avocats différents et complémentaires  8

2.4. Question de terminologie et de principe  9

2.5. Une patente inégalité des armes  9

3. Le rapport d'expertise  9

3.1. Qualité du rapport d'expertise - La nécessité d'un regard critique  9

3.2. Portée du rapport  10

3.2.1. Le juge n'est pas lié par le rapport  10

3.2.2. La portée de l'avis indépendant  10

3.2.3. Evaluer la nécessité d'une contre expertise  Erreur ! Signet non défini.

 


 

Voici un thème qui pourrait faire l'objet d'une journée de formation à lui seul tellement il y a de questions qui se posent.

Quand demander une expertise ?

Quelle mission pour l'expert ?

Quel statut pour l'expert ?

Quel expert ? Quelle déontologie expertale ?

Comment s'assurer de l'indépendance de l'expert ?

Quel est l'intérêt de notre système expertal (la désignation par le juge d'un expert indépendant) par rapport à d'autres systèmes étrangers (l'expert des parties soumis à l'appréciation du juge) ?

Quel crédit apporter au rapport d'expertise ? Quelle est sa valeur devant le juge ?

La contre expertise : Quand ? Comment ? Pourquoi ?

J'ai  l'expérience de l'expertise dans un certain nombre de domaines en matière immobilière notamment où il  m'a été donné de côtoyer les experts en droit de la construction, en matière de baux d'habitation ou commerciaux mais également en matière comptable… Cette  expérience me permet aujourd'hui d'affirmer que l'expertise médicale ne ressemble à aucune autre.

Peut-être d'abord en raison de l'herméticité de la matière, herméticité soigneusement entretenue par les experts qui se mettent difficilement à la portée des juristes que nous sommes.  Par l'esprit de corps en médecine qui s'accommode mal de la critique. Par la personnalité de la plupart des experts qui étant médecins pensent détenir la connaissance universelle. Par notre ignorance aussi de la matière. Si nous arrivons facilement en matière de construction à voir qu'une toiture ne garantit pas l'étanchéité de l'immeuble et qu'il y a donc une défaillance du constructeur qui doit garantir un bâtiment exempt de vices, il est plus difficile de comprendre qu'un chirurgien aurait du choisir telle technique plus sure que telle autre, de distinguer dans l' atteinte d'une artère lors d'un abord chirurgical celle qui résulte d'un aléa thérapeutique ou celle qui résulte d'une maladresse fautive…Nous sommes donc, comme les juges dépendants techniquement des experts ce qui ne doit pas nous ôter notre sens critique bien au contraire.

Les questions qui se posent sont tellement nombreuses et le temps tellement précieux que je n'aborderai pas tous ces problèmes pour me contenter de vous faire part de mon expérience et vous permettre ainsi d'en tirer quelques enseignements.

 

1. L'expert

1.1. Devoir de compétence

1.1.1. Le recrutement garantie de compétence ?

L'expert est évidemment un personnage central du procès. Si le juge décide de recourir à l'avis de l'expert, si les parties en font la demande, c'est bien que des éléments techniques leur font défaut car ils n'ont pas la compétence que doit avoir l'expert. Son premier devoir est donc d'être compétent sur les questions pour lesquelles son avis est requis.

Ceci semble simple et ne l'est pourtant pas.

Le contentieux du vaccin contre l'hépatite B m'a fourni de nombreux exemples d'experts apparemment extrêmement compétents parce qu'extrêmement titrés et qui pourtant n'avaient aucune compétence pour apprécier la toxicité d'un produit pharmaceutique, qui fait certes appel à des notions médicales mais très particulières telles que la pharmaco-épidémiologie ou la pharmacovigilance, se contentant donc de reprendre dans leur rapport les communiquée officiels, souvent de façon tronquée, sans voir que ceux-ci avaient été rédigés en commun avec les laboratoires – reconnaissant qu'ils ne connaissaient pas un mot d'anglais alors que la plupart des études sont publiées dans la langue de Shakespeare – ou encore sur les quelques quatre vingt experts désignés dans diverses expertises la plupart s'étaient mis d'accord pour "copier" les uns sur les autres à la lettre la partie concernant les données épidémiologiques…

Un excellent praticien ne fait pas forcément un bon expert. On peut être un excellent neurologue, savoir diagnostiquer une sclérose en plaques mais ceci ne donne pas compétence pour savoir si les données épidémiologiques concernant la relation entre la vaccination contre l'hépatite B et une SEP sont suffisamment fiables pour permettre d'établir ou d'écarter un lien.

Les experts désignés par les juridictions judiciaires ou administratives sont généralement inscrits sur les listes des Cours d'appel ou de la Cour de Cassation.

L'inscription sur une liste n'est évidemment pas un critère de compétence. Les listes regorgent d'experts qui n'ont jamais eu à faire la démonstration de leur compétence, qui par exemple vivent de l'expertise ce qui jette un doute sur leur crédibilité lorsqu'il s'agit de porter une appréciation sur le travail de leurs collègues.

 

1.1.2. Formation des experts et police de la compétence expertale

S'agissant des expertises mises en œuvre par les CRCI l'article L. 1142-10 du CSP crée la Commission Nationale des Accidents Médicaux (CNAM) qui a charge d'inscrire les experts sur une liste spécifique après avoir procédé à une évaluation de leurs connaissances, elle assure également leur formation en matière de responsabilité médicale…

Ce dispositif a été voulu pour assurer une spécialisation en responsabilité des experts commis par les CRCI. En pratique, je n'ai personnellement pas constaté une qualité meilleure des rapports en provenance d'experts CRCI ou d'experts inscrits simplement sur les listes des Cour d'appel. On peut donc s'interroger sur la "formation" qui est assurée sous le contrôle de la Commission Nationale des Accidents Médicaux".

Il n'existe pas non plus de véritable "police" de l'expertise permettant de sanctionner l'incompétence. Les seules sanctions qui existent concernent les délais et encore…La compétence est laissée à l'appréciation du juge ou du médecin lui-même qui doit se déporter lorsqu'il estime n'être pas dans son domaine de compétence – mais l'incompétence n'est pas un motif de récusation.

1.2. Devoir d'indépendance

On parle généralement, s'agissant des experts médicaux, de l'esprit de corps ou de la confraternité pervertie qui viennent compromettre l'objectivité requise de l'expert judicaire. Certes.

Mais le plus grand danger ce sont les "liens occultes"

1.2.1. Exiger la transparence

Il m'est arrivé, ce n'est pas rare, d'entendre un expert tutoyer son "confrère" mis en cause au motif qu'ils avaient fréquenté la même université, qu'ils avaient assisté aux mêmes conférences, travaillé dans les même services, au motif aussi qu' ils "connaissaient leur notoriété respective". Il est difficile alors de dire qu'il y a un lien d'amitié notoire au sens de l'article 234 du Code de Procédure Civile et pourtant il y a là un élément objectif permettant de jeter un doute sur l'indépendance de l'expert.

Mais il existe des hypothèses plus perverses et plus difficiles à déceler ainsi les "mandarins", les universitaires sont quelques fois très englués dans des liens plus ou moins occultes avec des fabricants de médicaments, de prothèses, de dispositifs médicaux…Ou bien tolèrent eux-mêmes dans leur service des pratiques pourtant illégales. Pour l'exemple citons ce grand patron d'un service d'oncologie qui pour valider un flagrant surdosage dans le cadre d'une chimiothérapie va rechercher une vague expérience allemande qui n'a jamais été validée et qui n'est en aucun cas recevable à justifier que l'on ait dépassé la dose prévue par le Résumé des caractéristiques du produit.

Il faut donc exiger des experts, chaque fois que le doute est permis, voire de façon systématique dans certaines affaires, qu'ils fassent connaître leurs éventuels liens d'intérêt.

Il n'est pas possible cependant dans des affaires complexes de contourner ces liens d'intérêt. Ainsi imagine-t-on pouvoir trouver un expert en centrale nucléaire qui n'aurait pas de lien avec EDF ? Même en allant chercher des experts étrangers on est dans un monde technologique si étroit qu'on ne peut garantir la totale indépendance des expert

S'agissant par exemple de médicaments, soit vous avez affaire à des experts qui ne connaissent rien dans ce domaine soit vous avez à faire à des experts qui ont une réelle connaissance mais qui n'ont pu l'acquérir que par leur activité et donc leurs liens avec l'industrie pharmaceutique.

 La transparence et surtout la spontanéité de la déclaration d'intérêt de l'expert devient alors une garantie de son impartialité.

 

1.2.2. Les garanties émanant du rapport

Mais c'est le rapport d'expertise qui est la véritable garantie ou démonstration à la fois de la compétence et de l'indépendance de l'expert :

"Lorsque les juristes plaident pour la clarté des rapports d'expertise, ils limitent souvent ce vœu à la recommandation que l'expert leur épargne le jargon de sa spécialité. C'est une conception bien trop limitative de la clarté : s'il appartient au juge de veiller au respect du contradictoire, c'est à l'expert qu'il revient de garantir – et même d'organiser – les conditions de ce contradictoire, du moins dans son domaine, qui est celui des faits et de la preuve…La clarté du rapport c'est la façon dont l'expert s'est appliqué, littéralement, à exhiber la traçabilité de son raisonnement, dans toutes ses étapes et ses articulations. L'exigence de clarté apparaît comme l'antidote de l'implicite, ou, pis encore, de l'argument d'autorité, tant il est vrai qu'en pareille matière tout spécialement il ne suffit pas d'affirmer pour être cru. Cette traçabilité du raisonnement expertal (dans ses sources comme dans ses articulations) est un pré-requis incontournable du contradictoire puisqu'il conditionne le droit des parties à réfuter l'expert".[1]

 

2. L'expertise

 

2.1. Un regard critique sur les missions

La plupart des juridictions civiles ont établi des missions type dans chaque matière où l'on retrouve généralement outre la communication des pièces et l'accés au dossier médical l'avis sur la faute par référence aux données acquises de la science : "dire si les soins ont été conformes aux données acquises de la science".

Mais les juge bien entendu ne sont pas tenus par ces missions type et il peut être utile selon les espèces de sortir des sentiers battus et de demander que soit posé clairement la question à l'expert de tel ou tel point technique.

Il est donc conseillé de réfléchir, avec le médecin conseil de la victime à une série de questions à poser aux experts et d'insérer celles-ci dans la mission proposée au juge des référés.

Exemple : Naissance prématurée d'un enfant avec de lourde séquelles – mère ayant par le passé déjà fait des menaces d'accouchement prématuré des grossesses difficiles

Responsabilités multiples : sage femme – obstétricien – établissement

Il est utile de poser clairement la question des conditions de la surveillance pré-natale d'une grossesse pathologique et du rôle de chacun des intervenants dans cette surveillance.

Diagnostic d'un AVC

Il peut être utile de demander à l'expert de décrire précisément les signes présentés par le patient et de les comparer avec ceux habituellement admis comme révélant un AVC, de dire très précisément les examens qui doivent être mis en œuvre et de les comparer avec ceux réellement appliqués à l'espèce.

Ceci met en effet les experts face à des questions précises et il leur est difficile d'éluder ces questions par des affirmations péremptoires.

L'attrait du traitement de texte est cependant tel qu'il faut quelquefois beaucoup insister pour que les magistrats consentent à ne pas faire un simple "copier-coller".

Les magistrats de l'ordre administratif semblent plus enclins à adapter les missions aux cas d'espèce alors que les CRCI, toutes régions confondues, ont définitivement adopté un modèle type de mission prétendant répondre aux différents critères de compétences des CRCI et de prise en charge des accidents médicaux par la solidarité nationale :

Circonstances du dommage

Causes et nature du dommage  

-          Imputable à un acte de prévention ou de soin

-          Accident médical – affection iatrogène – ou infection nosocomiale (à ce propos on notera un pléonasme car accident iatrogène ou accident médical cela veut dire la même chose – ce qui crée souvent une confusion les experts utilisant le terme d'affection iatrogène pour qualifier un aléa thérapeutique et d'accident médical pour qualifier une faute…)

-          Conformité de la prise en charge au regard des données acquises de la science….

 

2.2. Respect du patient et devoir de compassion

 

Les experts croient parfois pouvoir démontrer leur impartialité en adoptant une attitude extrêmement rigide voire brutale. Ils entrent dans une salle et s'asseyent autour d'une table et ne se présentent même pas à tel point qu'il m'est arrivé de confondre l'expert judiciaire et le conseil de la compagnie d'assurance qui, il faut le dire, en l'espèce avait véritablement pris en main la conduite de l'expertise.

Il faut bien prendre conscience que l'expertise, est pour la victime véritablement traumatisante. Je le leur explique d'ailleurs avant même qu'elles n'engagent leur procédure car il me semble nécessaire de bien appréhender leur capacité de faire face à cette véritable épreuve.

L'expertise est d'autant plus éprouvante que la victime d'un accident médical se présente généralement comme très diminuée. Par la maladie ou les conséquences de l'accident thérapeutique, bien sure, mais aussi et peut-être surtout par le fait que l'accident est venu bousculer la confiance indispensable dans le corps médical. On ne confie pas son corps à n'importe qui, c'est ce que l'on a de plus précieux et de plus intime.

L'accident thérapeutique ébranle au plus au point jusqu'à créer de la confusion dans l'esprit de personnes jusque là parfaitement équilibrées. Nous le voyons souvent et ceci n'est d'ailleurs pas toujours fonction de la gravité des conséquences. Nous avons ainsi fréquemment constaté que de dommages dentaires ébranlaient considérablement les victimes, probablement parce qu'elles sont privées de certains plaisirs tel que sourire, séduire, gouter les plaisirs de la table… Peut-être aussi parce que ce qui touche à la communication…

Il nous appartient donc à nous qui assistons nos clients de veiller à préparer cette épreuve mais aussi de veiller à ce que les différents intervenants et surtout l'expert se conduisent avec compassion.

La tentation est grande pour les experts d'user et d'abuser de la situation de domination que leur donne à la fois leur statut et leurs connaissances scientifiques. Il faut exiger le respect du patient comme l'exige d'ailleurs le code de déontologie médicale du respect duquel les experts ne sont pas dispensés.

L'expert mais aussi l'avocat doivent savoir écouter. La parole du client, même confuse est l'expression de son vécu souvent révélatrice des disfonctionnements qui ont conduit à l'accident ou simplement à la recherche d'une explication. Lorsque j'ai reçu en 1991 la famille d'un enfant atteint de la MCJ après un traitement en hormone de croissance je ne savais rien ni de la maladie ni de son lien avec ce traitement. Eux non plus. Ils avaient simplement une intuition et du bon sens. C'est à l'écoute de ce bon sens que j'ai compris qu'il y avait là une "affaire" alors que deux avocats les avaient renvoyés. Ils disaient simplement qu'il n'est pas normal que cet enfant mourant d'une maladie neurologique soit traité dans un service d'endocrinologie pédiatrique qui l'avait suivi pour ses problèmes de croissance…

 

2.3. Médecin conseil / avocats différents et complémentaires

 

Lorsque j'étais jeune avocat je consacrais beaucoup de mon temps aux expertises en matière immobilière, je montais à l'échelle pour examiner une toiture, me penchait sur des fissures, des fondations…Il m'est même arrivé de compter les crottes de lapin lorsqu'il s'agissait de rechercher quels étaient les animaux qui s'attaquaient aux cultures des paysans du Vexin. Un jour, je me suis étonnée qu'alors qu'une grande part de notre activité était consacrée à la réparation des préjudices corporels on ne note pas à l'agenda les expertise concernant ces dossiers. Mon patron qui celui à qui je dois tout, que je considère comme un grand avocat, pour lequel je n'ai jamais cessé d'avoir une immense admiration, m'a répondu que ce ne serait pas très décent d'assister à des examens médicaux et que de toute façon nous n'y comprendrions rien. C'est la seule fois où je n'ai pas été d'accord avec cet immense personnage.

Sans vouloir être prétentieuse, lorsque je me suis affranchie de ce conseil et que j'ai franchi le seuil des cabinets médicaux avec mes clients, j'ai compris qu'on y comprenait autant si ce n'est plus que s'agissant d'infiltrations…J'ai surtout pris conscience que notre présence était indispensable. Il suffit d'ailleurs pour s'en convaincre d'écouter nos clients, ceux qui se sont présentés sans avocat, soit parce qu'ils n'ont pas voulu les accompagner soit comme c'est généralement le cas dans les expertises CRCI parce qu'ils n'ont pas jugé utile de se faire assister.

Ils décrivent généralement une réunion à laquelle ils ont assisté sans véritablement se sentir concernés, comme s'ils étaient de simples spectateurs et non l'acteur principal qu'ils auraient du être. Ils parlent souvent du mépris avec lequel ils ont été traités, de la suspicion qu'ils ont ressenti : "je me suis sentie salle, idiote... Témoignage porté par une cliente auprès de l'expert ayant procédé à la contre expertise…"

Notre devoir en tant qu'avocat, surtout lorsque l'on est avocat de victime, car les médecins et leurs assureurs n'ont généralement pas beaucoup de mal à trouver leur place, est de mettre notre client au centre de l'expertise, de faire en sorte que chaque question soit débattue contradictoirement et de façon explicite, sans tabou ni dissimulation. Outre bien entendu d'assurer le strict respect des règles de procédure et de la mission d'expertise.

L'avocat peut en outre être un "candide éclairé". Par les questions qu'il pose, l'accent porté sur tel ou tel point il permet de lever les ombres.

Le rôle du médecin conseil est très différent.

Si l'avocat est un acteur partial, partisan, il a même le devoir de prendre parti, par exemple en ne développant qu'une thèse. Il en va différemment du technicien conseil qui doit avant tout mettre à disposition du client ses connaissances techniques.

Cette "indépendance" du médecin conseil, même s'il prend fait et cause pour son client est capitale dans la mesure où un technicien partisan pourrait par exemple entraîner un plaideur dans un mauvais procès et engager ainsi sa responsabilité.

Ceci est important pour nous aussi avocats qui sommes certes partisans mais avons tout de même un devoir de conseil et devons pour cela avoir confiance dans les techniciens avec lesquels nous travaillons.

2.4. Question de terminologie et de principe

J'ouvre ici une parenthèse. Je considère qu'il ne faut jamais employer le terme "d'expert" lorsqu'il s'agit du conseil d'une partie. Quant bien même celui-ci a par ailleurs la qualité d'expert judiciaire.

Ce terme d'expert est en effet galvaudé et on a bien du mal à savoir à la fin qui fait quoi. Il est fréquent dans des rapports d'expertise de lire sous la plume de l'expert judiciaire, "l'expert d'untel", ce qui confère finalement à la parole de ce dernier une portée qu'elle ne doit pas avoir dans une expertise judiciaire quand bien même il s'agit d'un technicien éminent.

 

2.5.  Une patente inégalité des armes

L'expertise médicale est une phase du procès où l'inégalité des armes est patente. En effet, sont présents aux opérations d'expertise, face à la victime, en règle général totalement inculte de ce qui lui arrive, dans le meilleur des cas assistée de son avocat et de son médecin conseil, Le médecin mis en cause (quelquefois – ce n'est pas rare – plus éminent spécialiste que l'expert judiciaire), le médecin conseil de son assureur, son avocat (généralement un spécialiste mandaté par l'assureur). Il n'est pas rare que plusieurs spécialités soient en cause (chirurgien et anesthésiste – généraliste et spécialiste – médecin et établissement) on multiplie donc pas deux par trois voire par quatre les spécialistes autour de la table côté corps médical. L'expert est évidemment lui aussi du sérail.

Outre cette inégalité numérique il faut ajouter une inégalité de moyens. La victime doit rémunérer son avocat son médecin conseil alors que les conseils de son adversaire sont rémunérés par leurs assureurs…Certes, il y a l'assurance protection juridique dont on sait cependant que les honoraires soit cantonnés dans des tarifs contractuels…Quant à la victime qui bénéficie de l'aide juridictionnelle inutile de dire qu'elle n'a strictement pas les moyens de se faire assister.

 

3. Le rapport d'expertise

3.1. Qualité du rapport d'expertise - La nécessité d'un regard critique

On l'a vu à propos de l'impartialité et de la compétence il y a des moyens de déceler un bon ou un mauvais rapport.

L'abondance de termes techniques non expliqués, l'absence totale de référence, l'absence de sources, les avis péremptoires sont autant de signes d'un défaut d'objectivité du rapport.

L'expert ne doit pas se contenter d'argument d'autorité mais doit faire une véritable démonstration.

Nous devons comme avocat toujours avoir un regard critique sur l'expertise. Une expertise en apparence défavorable peut avec une critique correctement faite devenir un formidable outil. A l'inverse, une expertise favorable peut créer beaucoup de désillusion si elle n'est pas lue avec ce regard critique indispensable.

 

3.2. Portée du rapport

3.2.1. Le juge n'est pas lié par le rapport

L'expert agit au nom du juge sur la base d'une mission que celui-ci lui a confiée. Mais le juge doit lui-même trancher le litige et apprécier pour ce faire les preuves qui lui sont soumises. L'article 246 du CPC pose clairement que "le juge n'est pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien". La Cour de Cassation l'a rappelé "le juge du fond doit apprécier les conclusions du rapport d'expertise qui ne s'impose pas à lui"[2]. A charge cependant pour le juge de dire en quoi le rapport n'est pas convaincant.

Dans la pratique et tout particulièrement en matière médicale on constate que les juges ont une confiance aveugle dans leurs experts, si non a quoi bon désigner un expert ?

L'expérience américaine pourrait inspirer nos juges. Le juge est en effet là tenu de porter un regard critique sur les rapports d'expertise. En fait les experts sont désignés par les parties le juge doit pour se convaincre de l'avis de experts scientifiques s'assurer que les experts présentent des garanties scientifiques suffisantes, que l'expertise permet de comprendre et de déterminer les faits.

Ils doivent pour évaluer les rapports d'expertise rechercher différents indices : La théorie ou la technique utilisée par les experts a-t-elle donné lieu à des évaluations ou publications ? Quel est le pourcentage d'erreur connu ou potentiel de la théorie ou technique retenue par l'expert ? Quel est l'avis généralement admis par la communauté scientifique ? [3]

 Le juge est véritablement l'arbitre de la crédibilité expertale

 

3.2.2. La portée de l'avis indépendant

On oublie quelque fois que le juge peut s'emparer d'éléments de preuves autre que le rapport d'expertise judiciaire à la condition bien sure de motiver sa décision.

Soumettre au juge un rapport critique du rapport d'expertise judiciaire peut être un moyen soit d'obtenir une contre expertise, soit encore d'emporter la conviction du juge qui redevient alors l'arbitre de la crédibilité expertale.

 

 

 

 

 



[1] M. GIRARD l'environnement, facteur teratogène pour l'expertise – Editions du Jurisclasseur – Environnement – Avril 2004

[2] Cass. 3ème civ. 26 FEVR 1970, bull. civ. III, N° 2 -…

[3] Fr2dérique FERRAND – Répertoire de Procédure Civile Dalloz – Preuve – janvier 2006

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